J’ai souvent en tête une phrase de Barbara, à qui on demandait si selon elle, ses chansons étaient de la poésie. Avec sa repartie qui claquait comme un martinet malin, elle avait répondu : « Poète, poésie, machin, moi ça m’énerve, je fais des petits zinzins comme une autre ferait une robe et c’est tout ». Cette spontanéité et cette humilité naturelle me renversent. Ce que dit Barbara au fond, c’est que la chansonnerie : c’est de l’artisanat.
Comme une autre ferait une robe toute simple
Je suis absolument d’accord avec ça. Au premier plan, on pourrait penser que c’est réducteur, parce qu’écrire une chanson c’est aussi être traversée par une fulgurance, être saisie d’inspiration, s’élever au-dessus de soi-même, se sentir dépassée par une force obscure et aveuglante qui fait que bam ! une chanson apparaît. Parfois franchement ça peut ressembler à ça. Mais je crois qu’un tel état ne tombe pas du ciel. Et que toutes les fois où l’on se dit « À quoi bon essayer d’écrire, j’ai rien à dire, rien à chanter » (ce qui est trop souvent mon cas hélas), il n’y a pas grand risque pour que l’inspiration divine se pointe, en effet. Là où il y a flemme, il n’y a point de flamme, comme dit le vieil adage (que je viens d’inventer).
On est bien avancé
Donc oui, fulgurance ; mais d’abord oui, labeur, affûtage et mortier. Je crois qu’une chanson, une vraie chanson, une bonne chanson, une chanson juste, c’est : une heure. Enfin je dis ça avec ma simple expérience personnelle, loin de moi l’idée d’en faire une vérité professorale, je déteste ça. Mais si tant est que j’aie un jour écrit une, rien qu’une bonne chanson (c’est très subjectif comme appréciation), à la louche, pour moi c’est une heure. Disons que c’est une moyenne. Une heure de perte de repère spatio-temporel, une heure d’état second, une heure d’éblouissement ! Et puis ensuite ce sont des jours ou des semaines de peaufinage si besoin, d’ajustement, d’ajouts ou de retraits divers, mais le cœur de la chanson, son âme, ou son noyau dur, je pense que c’est une heure. Sûrement moins, même.
Ni fait ni à faire
Pourtant, cette heure, pour qu’elle existe, pour qu’elle jaillisse, il faut la faire venir, la cultiver, l’attirer vers soi, en un mot : la travailler. Et en ça, il n’y a pas à tortiller, on fait appel à son artisanat. On essaie : c’est nul, on recommence : c’est pourri, on insiste : c’est déprimant, on efface tout : c’est décourageant, on s’y remet : c’est fatigant, on arrête : c’est décevant. Parfois ça a l’air pas mal, mais on a un doute. Et comme dit l’autre vieil adage, Quand il y a un doute, il n’y a point de doute (Il faudrait que je pense à publier un petit almanach des plus beaux vieux adages). Et à la réécoute, le lendemain, le doute ne fait que se préciser. Ces heures de sur-place peuvent sembler inutiles, mais elles sont, je crois, nécessaires à ce qu’adviennent, comme par miracle, les heures bénies des fulgurances pendant lesquelles naîtront les chansons qui tiendront la route.
Mon artisanat se pratique devant un piano, avec des carnets.
Des carnets en veux-tu en voilà
C’est vraiment à l’ancienne, et totalement désuet à l’heure où sur une application dont je tairai le nom* on peut, en trente secondes, obtenir pour la modique somme de 14,99€ par mois (enfin je suppose puisque je ne suis pas abonnée), une chanson dont le thème, le type d’interprétation, les mots-clefs et le style se cochent comme les toppings, les sauces et les différentes protéines d’un poke-bowl. C’est d’une simplicité plus qu’enfantine, et le résultat fait toujours son effet : il impressionne, il amuse et puis au bout du compte on s’en fout un peu. Mais c’est quand même une prouesse technologique. J’aime la technologie et je suis toujours partisane d’une assistance efficace et agréable quand elle rend la vie plus douce et plus longue, comme utiliser un lave-linge au lieu d’aller au lavoir. Mais rien à faire, pour la chansonnerie, je préférerai toujours l’artisanat.
À suivre…
*Je ne peux que vous donner sa première syllabe, SU, et sa dernière, NO. Mais je ne vous ai rien dit.
Si on prend les lettres de Suno et on les mélange, ça fait Nous, et c'est déjà un bon commencement...
Hâte d'écouter ces heures échappées du néant et rechapées par vos soins.
Ça a l air tellement facile de faire une chanson en te lisant…. Mais c est un art d écrire et tu le fais magnifiquement bien ! Continue l artisanale ou ça me va parfaitement. Ça fait 10 ans que je te suis et je suis toujours stupéfaite de tes mots . Alors j ai hâte d avoir en main ces quelques Chansons et de les écouter en live ! 😘😘😘