En sécurité sous mon casque
J’aime bien utiliser ma voix comme une petite chorale. Sur mes deux premiers albums, je n’avais pas encore découvert ce plaisir. C’est à partir du troisième (L’eau) et surtout du quatrième (Charade) que j’ai commencé à bricoler des chœurs, et à explorer cet instrument singulier que j’ai toujours sur moi. Sur Charade, d’ailleurs, j’en avais mis vraiment partout - pour ne pas dire trop - mais c’était sans doute ce dont j’avais envie et besoin à ce moment-là. De toute façon maintenant c’est gravé dans la cire du streaming pour l’éternité, alors inutile de revenir dessus.
En studio, un de mes joujoux favoris est de construire des lignes de chœurs. Parfois je les invente sur place, parfois je les prépare et les peaufine des semaines à l’avance, c’est selon. Parfois je les supprime après les avoir enregistrées, trouvant finalement qu’elles n’apportent rien.
J’aime m’aventurer dans des acrobaties que je n’oserais pas reproduire sur scène, en sachant que je peux chercher, rater, recommencer, chanter faux, réajuster, puis tenter tout autre chose. J’essaie des trucs sous mon casque.
Hi ah ah ah aaaaah…
J’aime le chuchotement que permet la précision d’un micro, mais j’aime aussi m’éloigner de lui pour hurler, quitte à ne garder à la fin qu’une bribe de ce hurlement dépoitraillé sur une ou deux mesures, qu’on entendra de manière presque subliminale.
J’aime empiler des hauteurs de notes, qui peuvent parfois frotter (c’est-à-dire être très proches les unes des autres et flirter avec la distorsion), en mettre une en avant, puis une autre, sans plus savoir exactement ce que j’ai fabriqué pour en arriver là.
J’aime doser la quantité de souffle que je pose sur telle ou telle note, pour modeler une matière marrante ou mystérieuse, et jouer avec l’espace sonore comme si j’étais plusieurs et que je m’auto-répondais (mais je vais bien, sinon).
J’aime me lancer dans un chœur un peu trop aigu, ou un peu trop grave, quitte à dérailler. De toute façon, je ne risque rien, puisque je suis en studio, et que personne ne m’entend, à part l’ingénieur du son bienveillant qui immortalise mes petites expériences plus ou moins heureuses. Sur mon prochain album, ce rôle a été tenu par le délicat et passionné Marc Portheau, qui tout au long de l’enregistrement, ne s’est jamais départi de son grand professionnalisme et de sa concentration hors du commun, et qui jamais ne me jugea, y compris quand je hurlais, sautais ou geignais.
La concentration sans limite de Marc, malgré mes airs de Mère Fouettarde qui checke tout
Chanter avec soi-même est très plaisant, mais se réécouter n’est pas forcément toujours agréable. Il peut m’arriver d’être agacée par ma voix, ou déçue, en croyant que la note que je viens de tenir est une prouesse, alors qu’elle est juste pénible et qu’il faut, sinon la supprimer, au moins la sous-mixer. La voix est vivante, et plus que tout autre instrument, elle est très influençable et poreuse à tout ce qui intervient autour d’elle. D’où la nécessité de se sentir en confort absolu (avec par exemple Marc Portheau) lorsqu’on tente des grands jetés ou des sauts de chats avec sa voix.
Pour l’échauffer et la mettre en confiance, j’ai mis au point depuis quelques années une technique très peu académique comme on va le voir, qui me fait me sentir prête en quelques minutes, alors qu’on dirait juste le babil d’un nouveau-né qui découvre qu’il peut faire du bruit avec sa bouche et s’en donne à cœur joie. Comme nous sommes entre nous, je vous glisse ici un court extrait innocent, issu de mon téléphone posé et oublié (je filmais l’instant d’avant quelque chose de bien plus intéressant et j’ai mal rappuyé sur le bouton caméra). Je précise qu’aucune chanteuse n’apprécie d’être filmée à son insu lorsqu’elle marche le dos voûté, et se croit à l’abri de tous les regards au point de faire des brrrrrr et des yayayas qui ne feront pas grimper sa cote glamour. Il s’agit donc d’un document exclusif, du niveau de Complément d’Enquête, à peu près.
Un babil de bébé
Une fois cet échauffement très sérieux effectué, qui peut durer de trente secondes à deux minutes (oui, je donne tout), me voilà disposée à superposer mes voix, à multiplier mes lignes de chœurs, à explorer toutes les voyelles qui se trouvent à ma portée, pour ensuite graver tout ça dans la cire du streaming pour l’éternité, ou bien tout jeter à la poubelle (ou tout muter, comme on dit dans notre jargon, c’est-à-dire rendre ces voix muettes), en maugréant que ça n’apporte rien. Au moins je m’amuse, et ça, ça n’a pas de prix.
À suivre…
Merci de nous embarquer au plus près de la création...
Vous lire Jeanne est tellement plaisant,
l'impression de partager les confidences d'une amie en confiance.
j'ai une question:
Avez vous déjà chanté au cœur d'une chorales,
avez vous ressenti cette impression d'être la pierre d'un édifice ,
bloc de fondation ou clef de voute, bien lisse ou sculptée,
mais qui trouve bonheur et sens dans ce grand partage d’harmonies.
En gros cette émotion que vous trouvez dans ce travail solitaire que j'aime tant,
l'avez vous aussi rencontrée dans un chœur ?
j'ai hâte de vous voir sur scène !
Christian