Cette enfant est heureuse de profiter de la politique culturelle des Pays de la Loire dans les années 80.
Alors que l’année touche à sa fin, j’ai mis le point final à mon album. Afin qu’il puisse sortir à temps (dans cent jours…) il fallait que sa version vinyle parte en fabrication le 19 décembre, à 19 heures 19, dernier délai. Fabriquer un vinyle c’est très long, et comme il n’existe pas encore d’usine SOS Vinyle 24 heures chrono à Montreuil, par exemple, il faut prévoir des délais d’acheminement fabuleusement larges. Une fois que les sillons des 33 tours ont été gravés, à la main, un par un, dans de la cire chaude, les disques traversent l’Europe en roulant sur eux-mêmes pour atterrir dans les bacs (vieux mot). J’affabule à peine. J’ai d’ailleurs eu une petite frayeur lorsque Chab, l’ingénieur du son qui a posé le vernis final au son du disque, ce qu’on appelle le mastering (après le mixage), m’a rappelé l’air de rien qu’une face de vinyle durait 25 minutes maximum. On était à 22 minutes pour la face A et 24 minutes pour la face B : j’ai quasiment frôlé la catastrophe (ou le double album).
En tout cas ça y est : le son est parti !
Studio de mastering. C’est un grand GO !
Par une ironie de la chronologie de la vie, alors que je me réjouissais innocemment d’avoir tenu ma dead line à la minute près, j’ai reçu, comme bon nombre d’entre vous peut-être, une sorte d’uppercut en apprenant que la grande cheffe de la région des Pays de la Loire, ma région de cœur, et d’origine puisque je suis née à Nantes, que j’ai ensuite grandi dans la campagne ligérienne et que je suis revenue dans ma ville natale après mon bac (vieux mot, bis) pour étudier avec passion la philosophie à la fac du Petit Port, la grande cheffe donc, que nous ne nommerons pas (elle s’appelle Christelle Morançais, MO-RAN-ÇAIS), avait réussi à imposer une coupe budgétaire d’une violence inouïe au monde de la culture notamment, et ce à compter de 2025. Demain, quoi. Ces coupes concerneront également le Planning familial, le fonds Égalité Femme-Homme, bref, que des choses non essentielles, n’est-ce pas.
J’ai grandi dans une famille modeste, mais grâce à l’effervescence de ma région, la petite fille que je fus a eu accès à un nombre incalculable de spectacles (mes parents étaient abonnés à la Maison de la Culture, qui s’appelait alors l’Espace 44 et dont je me sentais fièrement un membre actif, connaissant jusqu’au nom de son directeur, Jean-Luc Tardieu, même si je n’étais qu’en CM1), de livres (le bibliobus de mon village, qui regorgeait de trésors, passait comme un glacier à intervalles réguliers), de concerts (je n’oublierai jamais le premier concert de grand de ma vie, Juliette, au début de sa carrière, dans un petit théâtre décrépi appelé le Select).
Étudiante, j’ai profité avec frénésie du Ciné à 10 balles, l’Apollo, rue Racine à Nantes, dont l’entrée coûtait donc 10 francs et qui diffusait des films d’auteurs de toutes les époques tout en proposant des cycles d’horreur absolument jubilatoires. Je suis allée voir Cat Power ou Beck, ou les Little Rabbits à des prix totalement estudiantins, j’ai découvert avec stupeur des tragédies grecques follement contemporaines au théâtre universitaire, des groupes de rock aussi pointus qu’obscurs dans des blockhaus réhabilités par la Ville, j’ai même parfois préféré mélanger mes flocons de purée avec de l’eau plutôt qu’avec du lait pour pouvoir économiser et me payer l’entrée d’une installation de Pierrick Sorin, star des arts visuels (et nantais ! ) au musée.
Plus tard, j’ai débuté dans un cabaret associatif, le Terrain Neutre Théâtre, j’ai répété dans des studios de la Ville de Nantes, Trempolino, j’ai fêté le Passage à l’an 2000 au Lieu Unique en pleurant d’émotion devant une chorégraphie de Blanca Li, j’ai applaudi Philip Glass qui faisait deux dates en Europe : une à Londres et une à Nantes… Mon premier album est un live enregistré pendant un concert caritatif dans la mythique salle nantaise de l’Olympic. J’ai chanté à peu près partout où il est possible de chanter dans les Pays de la Loire. J’ai été je crois, entièrement pétrie de la flamboyance culturelle que m’offrait ma région.
Savoir qu’en un geste brutal, l’impalpable et inestimable richesse que représente la culture est mise en péril avec autant d’arrogance et d’irresponsabilité, est intolérable. Des milliers d’emplois vont être affectés, et quelque chose de l’ordre de… l’âme ?
Le week-end dernier, la une de Libération représentait un photomontage de Massacre à la Tronçonneuse (vu -avec terreur- au Ciné à 10 balles en 1998), où le visage de Leatherface était remplacé par le visage de celle dont on ne prononce pas le nom (Morançais. MO-RAN-ÇAIS). Le quotidien titrait : Massacre à la Création. Dans l’édito, le journaliste Dov Alfon rappelait que lorsqu’on avait demandé à Winston Churchill de faire des coupes dans les budgets des théâtres pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait répondu : « Mais alors, pourquoi combattons-nous? ». J’en ai des frissons.
Massacre. C’est le mot.
Il ne s’est encore jamais opéré une telle coupe budgétaire en France. C’est la première région qui fait ça. Nantes, Angers… C’est inimaginable. Je sais que je sors un peu de mon sujet, qui est mon septième album, mais pas tant que ça, en fait. Cette aberration politique me fait faire de tels cauchemars que je me devais d’en parler ici.
Il circule sur les réseaux sociaux une vidéo où l’on voit la grande cheffe opposer, à chaque énonciation de subvention du conseil régional (aide aux librairies indépendantes, aide aux arts visuels, dispositif égalité, aide aux festivals…) un seul mot : REJET. Comme une machine. C’est évidemment cette politique-là que nous devons rejeter. Celle qui ne veut pas comprendre que c’est grâce à l’éducation et la culture qu’une société peut respirer sainement. Quelle catastrophe. On n’a pas fini de se mobiliser.
On pourra me rétorquer : et tu vas sortir un disque avec des chansons d’amour dans ce contexte ? Ce à quoi je répondrai : oui, plus que jamais.
À suivre…
Allez, celle-ci c’est cadeau, parce que c’est Noël 🎄
Merci Jeanne ❤️Votre album je l’attends avec une impatience indescriptible tant votre musique et vos mots m’accompagnent et me portent dans ma vie .
Merci Jeanne ❤️pour défendre la culture car ce qui arrive à Nantes pourrait bien arriver ailleurs dans ce monde à l’envers où l’amour comme vous dites perd du terrain .
La culture comme une évidence pour notre bien être, stimule la rencontre des humains et leur épanouissement .
Alors quelle aberration , quelle folie je vous rejoins tellement .
Hâte de vous entendre chère Jeanne 💓⭐️🙏
Marie-Noëlle
Merci Jeanne,
Tout n'est que finesse et douceur chez vous.
Je vous adore