Entre se sentir regardée avec bienveillance et créativité, et se sentir scrutée avec perplexité ou maladresse, la frontière est parfois très ténue, car elle est tout à fait subjective. Pour une éponge comme moi, qui ne se fie, butée comme elle est, qu’à sa première impression, être prise en photo par quelqu’un peut devenir un moment de jubilation ou un gouffre de gêne. Et quand il y a gêne, il n’y a plus de Jeanne, comme dit le vieil adage (que vous pourrez retrouver prochainement dans mon almanach des plus beaux vieux adages, dont je ne cesse de faire le teasing).
Ainsi me vient le souvenir d’une brève séance photo improvisée dans une loge lors de ma première tournée (il y a donc un certain nombre de décennies) pendant laquelle je tentais de me détendre en proposant au photographe local quelques variations ludiques. Mes efforts n’avaient pas été vains, puisqu’ils lui avaient inspiré cette charmante remarque, pleine de douceur et de courtoisie : T’aimes ça, hein, poser ? Inutile d’expliquer pourquoi tant d’élégance m’avait tétanisée, me laissant en apnée jusqu’à la fin de cette séance de torture (à l’époque, la vie ne m’avait pas encore assez blindée pour que j’ose mettre ce gentleman à la porte avec mes compliments).
Des années plus tard, dans une autre ville, à la fin d’une interview, le photographe missionné par le quotidien régional avait débarqué de nulle part pour dégainer sur moi ses cliquetis sans préambule. J’étais momoche ce jour-là (ça arrive à tout le monde) et en regardant les images qu’il venait de barboter et consentait à me montrer, j’avais eu l’outrecuidance d’avouer que le résultat, pardon, n’était pas très à mon goût. Bizarrement, je n’avais pas l’air à l’aise, on se demande bien pourquoi. C’est ça ou rien, m’avait-t-il rétorqué. Ah j’aime ça, les dictateurs. C’est mon truc. J’étais un peu plus aguerrie cette fois, ce fut donc : rien.
La plupart du temps heureusement, tout se passe bien. Mais quand ça ne se passe pas bien, on s’en souvient (même vingt ans après). Je suis donc aux aguets lorsque je suis photographiée. Il me faut l’ingrédient suprême, le graal des relations humaines : la confiance.
Jean-François Robert et votre serviteuse
Cette confiance, je l’ai eu d’emblée envers le photographe Jean-François Robert. Je l’ai rencontré en 2019, lors d’un shooting doux et drôle avec mon amie la Grande Sophie. Nous sortions nos albums en même temps et un hebdomadaire avait eu la bonne idée de nous réunir pour parler, poser et pas mal rigoler. Comme on se connaît très bien et qu’on s’aime beaucoup, c’était a priori un moment cool. Mais encore fallait-il que la personne qui immortalisait ce moment nous mît en confiance. Ce fut le cas comme rarement, et les portraits que Jean-François fit de moi ce jour-là m’ont totalement plu. Je m’y reconnaissais à 100%, mais il y avait dans ses images un petit plus indescriptible qui tenait tout simplement à sa sensibilité, à son regard.
Quand il a été question des photos de mon nouvel album et de ma prochaine tournée, le souvenir de Jean-François Robert et de la manière dont il m’avait photographiée cinq ans plus tôt s’est imposé, et ma confiance en lui était toujours vive. Je lui ai fait écouter l’album, et nous nous sommes donné rendez-vous dans un café, chacun ayant préparé spontanément un petit moodboard, à savoir une collection d’images que nous inspirait le disque. La magie opéra, puisque sans nous concerter, nous avions bricolé des moodboards quasiment jumeaux.
À partir de là, sachant que nous allions dans la même direction, il n’a plus été question que de joie, d’amusement, d’audace et d’harmonie. La séance photo a eu lieu il y a quelques semaines, ce fut une très belle journée de studio, au son des morceaux de ma playlist préférée, celle de Virginie Despentes issue de son livre Cher connard, très fort dans l’enceinte bluetooth de Jean-François. En plus, le midi, il y avait au déjeuner un énorme plat de pâtes maison pour tout le monde, ce qui pour moi est le summum de la bienveillance. Je regarde ces images, qui correspondent si bien à mes nouvelles chansons, et j’ai hâte de les partager avec vous.
À suivre…
Je comprends tellement!! Pour la création de mon cabinet libéral, j'ai dû me soumettre à la torture de la photo. Fiasco total avec la première photographe qui a pris des clichés sur lesquels je ne me reconnaissais pas et sûrement pas faits pour inspirer confiance aux patientes...
Mais j'ai trouvé une perle qui m'a fait rire, détendue, et trouvé ce petit truc en plus dont vous parlez. Je kiffe cette photo! Et en effet, il s'agissait de confiance.
Merci pour ce petit partage si doux et joliment écrit.
c'etait bien le mot de Crochet qui m'est venu aussitot, n'ayant pas le talent de Jeanne ou d'un.e autre pour connaitre la sensation d'etre au milieu du viseur, j'en sais un peu plus sur l'émotion ressentie et la sensibilité transmise et tout cela exprimé avec tant de finesse , est ce que l'image traduira pour moi la conivence établie.... en tout cas hate de découvrir le dernier album, je crois connaitre les autres un peu trop par coeur , une date ? soon I hope so ...